mercredi 12 juin 2013

Soirée du 10 juin 2013

Le poète: Alexandre Voisard
Le thème: Partager un bon repas ensemble


Né en 1930 à Porrentruy, Alexandre Voisard vit aujourd'hui à Courtelevant, dans le Jura français, à deux pas de la frontière suisse. Une position particulière pour celui qui, dans les années 60 et 70, a contribué par son engagement militant et poétique à la naissance de l'État-canton autonome du Jura.  Tour à tour postier, comédien ou libraire après des études inachevées, Alexandre Voisard finira délégué aux Affaires culturelles de son canton et vice-président de la Fondation Pro Helvetia, avant de se retirer pour se consacrer à l'écriture.

Il est l'auteur d'une œuvre poétique et en prose qui inclut nouvelles fantastiques, contes érotiques, récits et autobiographie. Ancrée dans le concret, son écriture peut être autant primesautière et pleine d'humour que mélancolique, voire tragique. Alexandre Voisard aime à dire qu'il est le premier poète écologiste après saint François d'Assise. En 1995, il a reçu le Prix Max Jacob. Il siège à l'Académie Mallarmé depuis 1990 et à l'Académie européenne de poésie depuis 1996.

 Quelques textes:

 - du recueil: Pas à pas, mot par mot

Néanmoins, je ne souhaite pas conforter l’idée générale que la poésie est innée et que par conséquent le poème coule de source au bout du stylo en une bienheureuse gratuité. L’écriture est un effort incessant de fourmi sur l’ardoise trop lisse, une tâche d’abeille en un printemps de givre, et je n’ai guère connu, moi qui ai trimé dans toute sorte de petits métiers, de travail plus concret, plus matériel. Les mots roulent sous votre plume comme des billes dans l’huile. Des années d’obstiné labeur vous donneront peut-être les outils dont vous avez besoin avant toute chose. Comme autrefois tout apprentissage était précédé de la confection des outils dont on aurait besoin pour exercer son métier. Et ces instruments indispensables, personne ne les aurait fabriqués à votre place. L’écriture est une condition de forçat. Il y a, ailleurs, tant d’agréments à vivre quand on est rendu à l’entier de sa liberté. Si l’on veut bien  : rêver couché ou rêver debout, déchiffrer le chant des oiseaux, herboriser au printemps, champignonner en automne, rencontrer des femmes, connaître des artistes, raconter des sornettes aux enfants… Ainsi passe l’année du rêveur mais la plus perdue de toutes les années est celle où l’on n’a pas bouclé son manuscrit.
- Pourquoi écrivez-vous  ?
- J’écris pour ne pas mourir…


- du recueil: Une Enfance de fond en comble

Randonnée
   Prise à la boue, la feuille morte ne voyagera plus que sous le talon du premier venu. Si celui-ci est poète, elle entendra résonner les strophes sur les sentiers. S’il est bûcheron, elle verra la fouine montrer les dents au pied des ronces.


Anges
   Un jour, les forêts nous ont ouvert leurs armoires, les prés ont étendu leurs nappes à nos pieds. Nous avons mangé, nous avons dormi. Nous avons fini par faire souche, bâtissant des vies d’éperviers aux cimes de l’imaginaire.
   Les élèves tôt levés ont tiré des traits joyeux sur le passé simple et le futur antérieur. Dès lors, ils n’eurent recours à la ville que pour cacher leurs amours. Leur premier poème ne fut qu’un frisson furtif sur une main d’aïeule.


Réveil
   Le bon coq réveille son maître dès les premiers flocons d’aurore, ainsi qu’il fut convenu depuis bien longtemps. Son prétendu chant est une aigreur, une framboise écrasée au coin de la vitre. Il hérisse le duvet des poussins gourds.
     L’enfant entend ce cri boutefeu en même temps que son père et il fait le même signe de croix, mais à l’envers. Les gris s’estompent. Le jour commence où la musique s’ébroue.


 Matines
   Le jour n’était pas encore levé que le sacristain manquait déjà de vin. L’homme alors fouillait les buffets en blasphémant. Niaisement je m’en réjouissais. Cependant il m’offrait de réchauffer à la chandelle des cierges mes doigts engourdis.
En ces temps-là, Dieu était simple et bon.
   L’aube pouvait survenir dans un bâillement.


 Merveille
  Les chemises trempées aux premières sueurs printanières séchaient aussi bien sur le dos des braves que sur l’échine molle des imbéciles. Quand on prétendait qu’il y a une justice, c’était pour renvoyer à des temps meilleurs.
La plus modeste morille, un beau soir, mettait en émoi tout un quartier. La volupté s’apprenait dans l’élémentaire.


Poète
    La Peur, le Rire, la Ruse, tout allait de soi. Mais la Poésie, qui savait  ?
On oublia vite la leçon des méchants maîtres qui vous égaraient avec volupté. On apprît tôt par soi-même que la Poésie est tout cela, ruse, peur, rire, volupté. Dès lors plus aucun maître ne bourdonnerait à votre place dans la serrure des boîtes aux lettres.



Alexandre Voisard


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire