mercredi 22 mai 2013

Soirée du 14 janvier 2013

Le poète: Khalil Gibran
Le thème: Petites histoires


Écrivain, poète et peintre aujourd'hui mondialement reconnu, Khalil Gibran vit le jour en 1883 à Bécharré, au Liban. Très tôt, il manifeste une sensibilité pour l'art, tout particulièrement un intérêt pour le dessin.
En 1895, à l'âge de 12ans, le jeune homme quitte le Liban pour l'Amérique, Boston plus précisément, avec sa maman et ses frères et sœurs. Il y séjourne trois ans, où il poursuit ses études scolaires et où ses talents d'artiste sont remarqués, avant de retrouver son pays natal.

De retour au Liban, Gibran est envoyé au collège de la Sagesse pour parfaire son éducation. Durant les trois années qu'il passe dans cet établissement, il approfondit ses connaissances de l'arabe et de la Bible, il découvre le soufisme et il impressionne les professeurs par son talent. Outre le dessin, Gibran écrit aussi et il crée une petite revue avec l'un de ses amis. Il reçoit également le premier prix d'un concours de poésie auquel il participe.
En 1902, une de ses soeurs étant gravement malade, Gibran retourne à Boston mais malheureusement arrive trop tard. L'année qui suivra sera encore marquée par deux décès dans sa famille proche, son demi-frère et sa mère. Dès lors, Gibran s'installe aux ÉtatsUnis, où il passera la majeure partie de sa vie entre Boston et NewYork, avec quelques sauts toutefois en Europe.
 
C'est à partir de ce retour en Amérique que la carrière artistique de Gibran est lancée. Tout d'abord avec des expositions de ses dessins, puis avec plusieurs collaborations avec des journaux et revues arabophones du pays. En 1905, le premier livre de Gibran est publié en arabe. Il s'agit d'un court essai s'intitulant « La Musique ». Plusieurs articles, de nombreux livres et un grand nombre de peintures paraîtront sous la main de Gibran dans les années qui suivront. Il fera également la rencontre de beaucoup de grands artistes de ce monde, notamment Auguste Rodin et Rabindranath Tagore.
En 1923, l'écrit le plus attendu de Gibran paraît enfin, il s'agit du livre « Le Prophète ». Médité depuis son plus jeune âge et travaillé durant de longues années, Gibran écrit à propos de ce manuscrit : « Ce petit livre a occupé toute ma vie. Je voulais être absolument sûr que chaque mot fût vraiment le meilleur que j'eusse à offrir. ». Le succès est incroyable, depuis sa sortie jusqu'à nos jours. Au total plus de neuf millions d'exemplaires auraient été vendus et il a été traduit dans une quarantaine de langues, ce qui en fait l’œuvre maîtresse de la bibliographie de Gibran.
En 1931, atteint d'une cirrhose du foie et d'un début de tuberculose dans l'un des poumons, Gibran décède. Il est alors âgé de 48 ans. Quelques mois plus tard, son cercueil est emmené au Liban, où la population s'est rassemblée en masse. En début d'année 1932, le cercueil de l'écrivain est finalement déposé dans une grotte à l'intérieur d'un monastère de Bécharré, sa ville natale. Sur sa tombe on peut y lire les mots suivants : « je suis vivant comme vous et je suis maintenant à vos côtés. Fermez les yeux, regardez autour de vous, vous me verrez. ».

Plus d'une dizaine de publications posthumes s'ajouteront encore à son œuvre déjà très riche. Puis dans sa ville natale, Bécharré, un musée en son honneur sera inauguré. A la fois romancier, nouvelliste, conteur, essayiste, chroniqueur, pamphlétaire, poète, dramaturge et peintre, Khalil Gibran a passé sa vie à créer. Créer une œuvre spirituelle unique, aux messages universels, qui ont rejoints l'Orient ainsi que l'Occident. Une œuvre au parfum d'un au-delà qui nous dépasse, témoignant la réalité de cet aphorisme écrit de sa main : « L'art est un pas de la nature vers l'Infini. ».



Quelques textes:

- du recueil: L'Errant

L'ERRANT

  A la croisée des chemins, je rencontrai un homme qui possédait pour toute fortune une cape, une canne et un voile de chagrin qui assombrissait son visage. Nous nous saluâmes, et je lui dis : « Viens chez moi et sois mon hôte. »
  Et il vint.
  Ma femme et mes enfants nous accueillirent sur le seuil de la maison. Il leur sourit, et ils se réjouirent de sa présence.
  Nous nous assîmes tous autour de la table, heureux qu'il soit des nôtres, car il y avait une part de silence et de mystère en lui.
  Après le dîner, nous nous rassemblâmes autour du feu, et je le questionnai sur ses errances.
  Il nous raconta plusieurs histoires cette nuit-là et le  lendemain aussi, mais ce que je décris maintenant témoigne de l'amertume de ses jours, bien qu'il fût d'une douceur infinie, et ses histoires sont faites de cette poussière et de cette patience accumulées le long de sa route.
  Lorsqu'il nous quitta trois jours plus tard, nous n'avions pas l'impression qu'un invité était parti, mais plutôt que l'un de nous était toujours dans le jardin, pas encore rentré.



 LA DANSEUSE

  Un jour, se présenta à la cour du prince de Birkasha une danseuse accompagnée de ses musiciens. Après avoir été admise à la cour, elle dansa devant le prince sur une musique de luth, de flûte et de cithare.
  Elle exécuta la danse des flammes ainsi que celle des épées et des lances. Elle exécuta la danse des étoiles et celle de l'espace, puis celle des fleurs virevoltant dans le vent.
  A la fin elle s'inclina devant le trône du prince. Le prince lui fit signe de s'approcher et lui dit: « Ravissante femme, fille de la grâce et de l'enchantement, d'où vient ton art? Comment fais-tu pour maîtriser tous les éléments dans tes rythmes et tes rimes? »
 La danseuse s'inclina à nouveau devant le prince et répondit: « Puissante et gracieuse Majesté, je ne saurais vous répondre. La seule chose que je sache est ceci:
  « L'âme du philosophe habite sa tête.
  « L'âme du poète se niche dans son cœur.
  « L'âme du chanteur se love dans sa gorge.
  « Mais l'âme de la danseuse vit dans son corps tout entier. »



 LE FOU

  Ce fut dans le jardin d'un asile de fous que je rencontrai un jeune homme au visage pâle, gracieux et empli d'émerveillement.
  Je m'assis près de lui, sur un banc, et lui demandai : « Pourquoi êtes-vous là ? »
 Il me regarda avec stupéfaction et me répondit : « C'est une question incongrue et pourtant je veux bien vous répondre. Mon père voulait faire de moi son double parfait ; mon oncle également. Ma mère voulait me façonner à l'image de son illustre père. Ma soeur voulait que je suive le parfait exemple de son époux, le marin, qu'elle tenait en haute estime. Mon frère pensait que je devrais être comme lui : un bel athlète.
 « Et mes professeurs, de philosophie, de musique et de mathématiques, étaient eux aussi résolus ; chacun d'eux voulait faire de moi sa propre image réfléchie dans un miroir.
  « Aussi suis-je venu en ce lieu. Je trouve que l'air y est plus sain. Au moins, je peux être moi-même. »
  Puis, subitement, il se tourna vers moi : « Mais dites-moi, avez-vous aussi été conduit jusque-là grâce à l'éducation et au bon conseil ? »
  Je répondis alors : « Non, je suis un simple visiteur. »
  Et il me dit : « Ah, vous êtes l'un de ceux qui vivent dans l'asile de l'autre côté du mur. »



LES DEUX POEMES

  Maints siècles auparavant, sur une route menant à Athènes, deux poètes se rencontrèrent et furent heureux de se voir.
 L'un des poètes demanda à l'autre : « Qu'as-tu composé récemment, et comment va ta lyre ? »
  Et l'autre poète de répondre avec fierté : « Je viens juste de finir le plus sublime des mes poèmes, peut-être même le plus sublime poème jamais écrit en grec. C'est une invocation à Zeus le Suprême. »
  Puis il retira un parchemin de dessous sa cape et dit : « Je l'ai sur moi, tiens, le voici ! J'aimerais te le lire. Allons nous asseoir à l'ombre de ce cyprès blanc. »
   Le poète lut alors son poème, c'était un long poème.
  Et l'autre poète dit avec bonté : « C'est un beau poème. Il survivra aux âges et te couvrira de gloire. »
  Le premier poète lui demanda calmement : « Et toi, donc, qu'as-tu écrit ces derniers jours ? »
 L'autre répondit : « Je n'ai que peu écrit, huit vers seulement, en souvenir d'un enfant qui jouait dans un jardin. » Et il lui récita les vers.
  Le premier poète lui dit : « Ce n'est pas si mal, pas si mal. »
  Et il se séparèrent.
 Aujourd'hui, deux mille ans plus tard, les huit vers de ce poète sont lus dans toutes les langues, et ils sont aimés et chéris.
  L'autre poème, s'il est transmis à travers les siècles dans les bibliothèques et les laboratoires des érudits et s'il est gardé en mémoire, il n'est cependant ni aimé ni lu.



L'AUTRE ERRANT

  Un jour, je rencontrai un autre voyageur. Il était lui aussi un peu fou, et il me parla ainsi : « Je suis un errant. J'ai souvent l'impression de marcher sur terre parmi des pygmées. Et comme ma tête dépasse la leur de soixante-dix coudées, elle échafaude des pensées plus hautes et plus libres.
  « Moi, en vérité, je ne marche pas parmi les hommes mais au-dessus d'eux, et tout ce qu'ils peuvent voir de moi est l'empreinte de mes pas dans leurs vastes champs.
  « Je les ai souvent entendus discuter et se disputer sur la forme et la taille des mes empreintes. Certains disaient : "Ce sont les traces d'un mammouth qui a parcouru la terre en des temps reculés." Et d'autres disaient : "Non, ce sont les traces de météorites tombées de quelque lointaine étoile."
  « Mais toi, mon ami, tu sais fort bien que ce ne sont rien d'autre que les empreintes d'un errant. »



Khalil Gibran
 

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