jeudi 23 mai 2013

Soirée du 11 mars 2013

Le poète: Jean Grosjean
Le thème: Arrêt sur images


Poète, écrivain, traducteur et commentateur de textes bibliques, Jean Grosjean est né à Paris le 21 décembre 1912.
Après avoir voyagé dans le Proche-Orient (Syrie, Palestine et Irak), il est ordonné prêtre en 1939. Durant la seconde guerre mondiale, il est mobilisé puis fait prisonnier. Durant sa captivité, il fait la rencontre d'André Malraux, Claude Gallimard et Roger Judrin, qui deviendront des amis proches.

En 1946, le premier livre de Jean Grosjean paraît chez Gallimard. Il s'agit d'une suite de notes poétiques qui s'intitule "Terre du temps". Ce recueil recevra par la suite le prix de la Pléiade.
Les soixante années qui suivront, Jean Grosjean restera fidèle à la maison d'édition Gallimard, comme auteur et comme membre du comité de lecture. Pas moins de 18 autres recueils de poésie y verront le jour. En 1989, il crée avec Le Clézio, chez Gallimard, la collection « L'Aube des peuples ». Y sont publiés les grands textes fondateurs des civilisations.
Le 10 avril 2006, alors âgé de 94ans, Jean Grosjean décède à Versailles.

Jean-Marie-Gustave Le Clézio, avec qui Jean Grosjean a collaboré, lui a rendu ce bel hommage par écrit:
"Il est le passant, le passeur de notre siècle. Il le traverse tranquillement, sans faire de bruit, mais à grandes enjambées, d'une marche ferme et sûre, et non pas à la hâte, comme quelqu'un qui sait où il va, le regard aux aguets, les mains libres de bagages. Depuis le premier jour que j'ai commencé à marcher avec lui, il n'a pas changé sa façon de marcher, il n'a pas ralenti le pas. Alors, je me souviens, nous allions dans les rues voisines de la N.R.F., rue de Beaune, rue de l'Université, dans les soirées froides d'hiver, nous parlions d'autres temps, d'autres lieux, comme si ces rues et cette foule qui se hâtait n'avaient pas vraiment d'importance. Il a toujours la même veste noire, cet air à la fois emporté et nonchalant, cette étrangeté. Il est le poète de Terre du temps, d'Hypostases, de la Gloire. Aujourd'hui, je lis la Lueur des jours et je suis plongé dans le même temps. Je reprends le même souffle, je suis pris dans la même parole. Alors, il y a vingt ans, je me souviens de conversations où le temps justement n'existait plus, parce que lui et moi avions le même âge, malgré ce qu'il avait vécu, malgré ce qu'il savait, ce qui me dépassait. Et ce qu'il disait était aussi clair et aussi simple que les mots de ses poèmes. Aucun homme ne donne un tel accord entre ce qu'il est et ce qu'il écrit, aucun homme ne sait regarder le monde aujourd'hui avec un tel détachement et pourtant un tel empoignement amoureux. Aucun homme ne sait mieux que lui opposer le rire léger et le haussement d'épaules aux questions et aux jugements rendus sur la place publique.
Il est un solitaire, et c'est la solitude qui lui donne cette assurance. Ce qu'il sait, il le dit, il ne le répète pas. À nous de le comprendre, de le rejoindre, mais pour cela nous devons passer par le creuset de la poésie, et non par la cuve où macère la prétendue culture. La poésie est la source pure, elle est l'eau de la vérité, et c'est cette eau que nous donne Jean Grosjean.".


Quelques textes:

- du recueil: NATHANAËL

 BOL DE THE

Le rosier rouge en fleur contre la grange.
Longueur du jour puisque l'été commence.

Déjà le blés sur les coteaux jaunissent.
Un pavot noir s'ouvre au bord des moissons.
Un merle chante au milieu d'un buisson.
L'ombre de la maison nous est propice.

L'échelle appuie son ombre au mur qui penche.
Le soleil ne descend que par degrés.
Le ciel se repose au fond d'un bol de thé.
L'ombre effilée d'une herbe sur ma manche.



DRAPS

Les draps sur la corde,
le vent le long des rosiers.
Le vent vient rider les draps.

Il querelle les marguerites,
il va chercher un nuage,
des nuages.

Noir le ciel sur l'horizon.
L'averse à grands pas.



AVOINE

L'avoine est coupée d'hier.
Ce jour est pareil aux autres.
La grande herbe se balance
depuis les débuts du monde.

Le ruisseau des heures ne cesse
de fuir et de naître.

La brise oublie dans le ciel
un nuage hirsute.
Rien ne quitte les yeux
sans fréquenter l'âme.



CILS

Le vent hurle dans les rues
couche les fumées sur les toits.
Le vent ferme les volets
au nez des chambres voyeuses.

Le vent, ses violences,
ses escadres dans le ciel.
Leur ombre sur nous.

La beauté du vent. Les feuilles
se retournent quand il passe.
Ses doigts frôlent mes cils.


- du recueil: LES PARVIS

Matinée

La matinée s'est assise. Les papillons vont de fleur en fleur et les zéphyrs de feuille en feuille. Quelqu'un au loin. Ses pas soulèvent et laissent retomber la poussière. Un oiseau s'envole d'un buisson. J'ai toujours été là. Le monde à toujours été là. Tu nous visitais avant de nous visiter.



Le nouveau venu

Tant de jours discourtois m'ont si vite tournée le dos sans un au revoir. Et te voilà qui cherches à te faire reconnaître. Je ne te prêtais guère attention, mais les autres sont partis. Tu te tiens debout, sans un mot, contre le montant de la porte à regarder l'herbe du seuil fléchir sous le passage de l'air.



L'atelier

Je passe l'angle de l'atelier. Les oiseaux prennent leur envol. Il ne reste plus que le ciel dans les mares, mais je sais que tu as été là. Et ce n'était pas autrefois mais aujourd'hui.



Le printaniseur

Personne que lui ne peut, de chaque être humain qu'il rencontre, faire une sorte de commencement. Personne non plus ne sait comme lui faire de chaque instant une naissance.

Sa spontanéité exprime ce que son Père a d'inaugural et il en jette sur nous les reflets. Il allume l'éternité à tout bout de champ et printanise nos heures.



Jean Grosjean

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