vendredi 21 septembre 2012

Soirée du 10 septembre 2012

Le poète: Alexandre Romanès
Le thème: Souvenirs d'été / l'essentiel


Admiré par Yehudi Menuhin et Christian Bobin, ami de Jean Genet, Alexandre Romanès est issu de la famille Bouglione. Équilibriste et dresseur, il a choisi la vie libre et nomade du cirque itinérant qu’il a fondé. Véritable poète de la vie gitane, il apprend à écrire pour publier ce qu’il vit et ce qu’il ressent.

Alexandre Romanès est né en 1951 dans une grande famille de cirque venue d'Italie. Il s'exerce à toutes les disciplines, surtout l'échelle libre, le travail avec les fauves. Dès ses treize ans il participe aux numéros des grands. Jusqu'au jour où il quitte le cirque familial, celui de Firmin Bouglione. Il trouve que chez les siens la piste a perdu de sa magie, la culture gitane étant reléguée au second plan, au bénéfice des Cadillacs et des gourmettes.
On le retrouve dans un numéro d'échelles libres qui fait fureur à Saint-Germain-des-Prés ; c'est là qu'il rencontre Jean Genet, en 1976.
Au début des années 1990, il rencontre Délia, une gitane issue de la tribu des Lovaris, parmi la communauté roumaine des musiciens tsiganes du camp de Nanterre. Délia devient sa femme, et les gitans sa nouvelle famille de cirque.
Alexandre et Délia créent le premier cirque tsigane d'Europe : le Romanès, Cirque Tsigane.

En préface de son recueil "Sur l'épaule de l'ange", Christian Bobin écrit: "Lire Alexandre Romanès c'est connaître l'épreuve de la plus grande nudité spirituelle. Juste une voix et surtout le ton de cette voix: une corde de luth pincée jusqu'à l'os, ce luth dont il a joué dans sa jeunesse. Les morts doivent parler avec la même douceur sourde et sans reproche. A la lecture c'est comme si on traversait une larme. Cette larme que le poète refuse de verser fait l'humanité profonde de son livre. Il y a de l'eau, c'est tout, et un tout petit brillant de sel. Dans la dernière partie du livre, il y a de l'air. On a atteint la chambre des résurrections. Une douceur sans mélange, si pure qu'elle fait éclater la vitre de la mort. C'est le silence désormais qui tient le livre entre ses mains.".


Quelques textes:

Pourquoi j'ai écrit ? L'écriture n'est pas une tradition gitane. La poésie me semblait trop haute pour moi, inaccessible, et puis la vie je voulais la vivre, pas l'écrire. Je m'étais fait une raison, mais pas le ciel. Lentement, au rythme des saisons qui passent, j'ai rempli un cahier d'écolier. Ce que je sais, c'est qu'il y a des poètes que j'admire. Peut-être que je n'ai pas supporté de les voir passer. J'ai voulu être l'un des leurs.

***

Je ne comprends rien au monde.
Certains se sentent plus proches
d'un chien que du ciel.
Si seulement ils voulaient
lever la tête !

***

Je n'en sais pas plus sur le monde
qu'un poisson rouge dans un bocal.
Les gens admirent une belle phrase,
un beau geste, un beau vêtement,
et ils ne veulent rien savoir sur Dieu.
Que faut-il penser du monde ?

***

Je suis prêt à tout pour te trouver.
S'il fallait danser ces danses avilissantes
et stupides qu'on voit partout,
même ça je le ferais.
La pacotille partout,
Dieu nulle part.

***

La main qui se laisse prendre
est la plus belle,
tous ceux qui ne voient pas
d'abord le ciel s'enterrent.
Moi, j'ai toujours été vers les autres,
mais eux, il faut croire
qu'ils avaient mieux à faire.

***

Assis dans l'herbe,
mon luth collé à ma poitrine,
j'ai été bien plus loin que les armées
d'Alexandre et de César.
Il ne faut pas grand-chose
pour être heureux.

- du recueil: Paroles Perdues


On devrait écrire
sur des bouts de papier
qu'on trouve par terre.
Ça obligerait à aller
à l'essentiel.

***

Inventer une machine,
c'est à la portée
de n'importe quel imbécile.
Mais parler du ciel,
c'est autre chose.

***

Aujourd'hui, j'ai reçu
une convocation de la police
pour aller en prison,
mais j'ai aussi écrit deux poèmes.
C'est quand même une belle journée.

***

La neige, le vent, les étoiles :
si le cœur est parfait,
Pourquoi vouloir plus ?

***

La voix royale c'est
regarder le ciel
et ne rien dire.

***

Je n'envie
ni les puissants, ni les intelligents.
La jeunesse, la beauté, la notoriété
me semblent dérisoires et la gloire aussi.
Quand je serai mort, j'espère seulement
être le plus longtemps possible
dans le cœur de mes filles.
Et si ce n'est pas trop demander,
être un peu dans le cœur de Dieu.

- du recueil: Sur l'épaule de l'ange

Alexandre Romanès
 

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