lundi 18 juin 2012

Soirée du 11 juin 2012

Le poète: Christian Bobin
Le thème: la fragilité
 

Christian Bobin s’intéresse aux petites choses de la vie pour toucher aux grandes questions de l’existence. Il sait aussi user des mots pour défricher les sous-bois sombres du réel et y déceler des éclats du quotidien.

Lire Christian Bobin, c'est souvent faire l'expérience d'une petite clarté qui traverse l'esprit. Son écriture, qui sonde de quelques traits de lumière l'inconnu de l'existence, allume des parcelles d'idées, définit les contrastes de grandes questions essentielles. Certains disent même qu'elle a éclairé quelque chose sur leur chemin intérieur. Loin de se faire cabotin devant ces échos et son succès de librairie, l'auteur ne revendique pourtant qu'une chose : un attachement. Attachement aux petites choses qui l'entourent, aux textes de l'Évangile, et aux mots qui lui viennent à l'esprit devant l'expérience du monde, parfois belle, parfois troublée.

Né en 1951, Christian Bobin vit au Creusot, dans une maison isolée en pleine nature. Il est l'auteur de plus de 40 ouvrages, où la foi chrétienne occupe une bonne place, et « dont les titres s'éclairent les uns les autres, comme les fragments d'un seul puzzle ». Parmi eux : Souveraineté du vide, Le Très-Bas, La part manquante, La plus que vive, La présence pure et Une bibliothèque de nuages.
- Céline O'Clin


Quelques textes:

Écrire et voir, c'est pareil, et pour voir il faut de la lumière. Le paradoxe, c'est qu'on peut trouver de la lumière dans le noir de l'encre. C'est comme de la nuit sur la page, et c'est pourtant là-dedans qu'on voit claire.


Je ne crois pas que les grands poètes nous parlent seulement de papillons quand ils en parlent : ils nous apportent aussi un premier secours.


Pour être pleinement poète, il faut être aussi scrupuleusement précis qu'un notaire. Il ne faut rien ajouter à ce qu'on voit. Il s'agit de trouver tout seul les mots qui diront sans déborder ce que les yeux ont vu. Écrire, c'est prendre les mots un par un et les laver de l'usage abusif qui en a été fait. Il faut que les mots soient propres pour pouvoir être bien utilisés. Ce travail-là est le premier. Les mots Dieu ou amour ont traîné partout, et pourtant ils sont trop précieux pour qu'on les abandonne. Il faut donc rafraîchir le langage pour qu'il retrouve son innocence. Il faut que les mots retrouvent cet étonnement incroyable des bébés qu'on lave et qu'on frictionne. Ils sont alors si purs qu'ils arriveraient presque à nous rendre aussi innocents qu'eux sur l'instant. La vérité nous rend cette candeur première, la beauté de celui qui entre dans une église pour prier sans être vu, ou de celui qui ouvre un livre dans un jardin public : le visage devient alors comme une petite chapelle. C'est beau : on dirait un départ sur place.


Un jour nous comprendrons que la poésie n'était pas un genre littéraire mal vieilli mais une affaire vitale, la dernière chance de respirer dans le bloc du réel.


L'écriture est une mendiante qui donne une pièce en or à chaque passant.


Ecrire – obéir à ce qu'on voit.


L'écriture est le roseau qui s'incline au passage du maître.


L'écriture est le doigt qui montre le miracle.


La poésie est une pensée échappée de l'enclos des raisonnements, une cavale de lumière qui saute par-dessus la barrière du cerveau et file droit vers son maître invisible.


Pourquoi voyager ? Je fais dix mètres dehors et je suis envahi de visions, submergé : je ne marche pas sous le ciel mais au fond de lui, avec sur mon crâne des tonnes de bleu. Je suffoque de tant respirer, rassasié d'air et de lumière. En dix secondes j'ai fait une promenade de dix siècles. La vie a une densité explosive. Un minuscule caillou contient tous les royaumes.


Une brise passait au jardin, aucune feuille du tremble n'était indifférente à son chuchotement et chacune y répondait à sa façon : j'avais sous les yeux l'image d'une vie humaine sensible à tout, parfaite.


Les papillons qui bégaient, les abeilles chercheuses d'or et le vent qui comme un fou parle à tout le monde : mes maîtres sont devant moi, qui m'instruisent sans y penser.


La main d'une brise qui rebrousse le duvet sur le ventre d'un moineau, l'eau qu'un soleil enflamme dans un verre, une phrase dans un livre, vaillante comme une petite fille sautant à la corde : les vrais secours ne sont jamais spectaculaires.


Dans la cour de la petite école un tilleul vieillissant jette l'or de son feuillage sur un chagrin d'enfant, empêchant la mélancolie d'accomplir son oeuvre assassine.


Devant l'arc-en-ciel double tous mes soucis se sont évanouis.


Un camion de trente tonnes roule sur des pâquerettes qui se redressent juste après.


Christian Bobin

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